20 janvier 2100
La clé tournait dans la serrure lorsque le téléphone se mettait à sonner. Isaline accélérait ses mouvements dans l’espoir de libérer ses mains à temps pour décrocher. Sac-à-main et courses s’effondraient dans un fracas sur le vieux carrelage de l’entrée. Le gros manteau entravait l’agilité de la jeune femme. Elle pestait en anglais, ou peut-être était-ce en suédois, ou encore en russe.
Le souffle court elle réussissait pourtant à débuter la conversation. La voix de son interlocuteur lui était inconnue. L’interprète notait pourtant l’accent typiquement écossai. La façon dont il vérifiait son identité faisait naître un mauvais pressentiment au fond de sa poitrine. Ses contacts avec l’Ecosse étaient rares depuis son arrivée à Hegemony. Les nouvelles lui parvenaient grâce à sa grand-mère le dernier de ses liens avec ce pays.
Isaline s’asseyait péniblement sur la chaise en bois. L’homme disait s’appeler Göran. Lui aussi était un suédois en exile. Il disait avoir rencontré Lovisa lors d’un rassemblement politique, il y avait de cela deux ans. Il disait encore que lui aussi était veuf depuis longtemps, et que cette rencontre avait réchauffé son vieux cœur. Mais sa voix devenait de plus en plus roque. Le cœur battait de façon distendue dans la poitrine de la petite-fille Svensson.
Elle ne voulait pas. Elle n’avait pas envie d’entendre cette belle histoire. Les belles histoires finissaient toujours mal.
Enfin. Il expliquait. Lovisa Svensson avait eu un accident. Une mauvaise chute à cause du verre-glas qui couvrait le pays depuis plus de trois semaines. Elle était mal tombée. La tête avait frappé contre le sol. Un hématome intracrânien c’était formé. Puis ça avait été l’anévrisme. Malgré la distance les sanglots se répercutait dans son oreille.
Lovisa Svensson était morte dans la matinée. Il avait fallu un peu de temps pour trouver le numéro de la jeune femme dans ses affaires. De ce qu’il savait Isaline était la dernière personne encore en vie de la famille. Il disait être désolé. Il était triste de faire le messager pour quelque chose d’aussi douloureux. L’enterrement aurait lieu dans quatre jours. Il pouvait l’accueillir autant de temps qu’elle le voudrait.
Il disait que Lovisa lui avait parlé d’elle plusieurs fois. Que même s’ils ne se connaissaient pas encore il la prenait un peu pour sa petite-fille. Il en venait à parler du fils Kyle et de Julia aussi. Que pour ça aussi il était désolé. Heureusement il ne parlait pas de Lucas ce qui limitait la nausée de la jeune femme. D’une voix lointaine Isaline affirmait qu’elle serait présente. Elle allait faire le nécessaire des le lendemain à l’ambassade. Pour finir elle le remerciait de l’avoir prévenu.
Un silence affreux retombait sur l’interprète. Son regard se posait sur les commissions étalées sur le sol. En pantin désincarné elle commençait à les prendre une à une et à les ranger dans les placards. Le sucre en haut. Le lait dans le frigo. Son cœur refusait de ressentir quoi que ce soit. Mais les mots de Göran tournaient en boucle dans son esprit.
Et puis le haut le cœur fut soudain et irrépressible. Isaline courrait jusqu’à ses toilettes. Son estomac se vidait brutalement comme pour se décharger de la vie. La vie désertait ses traits. Elle se sentait mal. Malade. Un véritable sentiment de dégoût grandissait. Ses parents, Lucas, et maintenant sa plus proche confidente, n’existaient plus. En voulant se redresser la jeune femme dérapait. Elle abandonnait. Là, comme une enfant, elle pleurait son malheur. Que lui restait-il encore ? On lui avait prit les siens.
Plus de racine. Isaline n’avait plus rien.