Le soleil s'était depuis longtemps couché au-delà de la capitale de l'Empire, laissant l'angoisse de la nuit enrober de son voile sombre les âmes libres qui croyaient encore à un monde meilleur. Par delà la fenêtre, je pouvais voir la misère que la rue tentait de révéler à l'aide des quelques réverbères encore en état de marche. Tout n'était que froid, humidité, détritus et formes squelettiques. La vie avait depuis longtemps abandonné cette partie de la ville qui ressemblait désormais à un fantôme. Il ne s'agissait plus de survivre pour ces gens. Ce stade avait été dépassé et ils étaient à présent bien au-delà de la mort. Lentement, douloureusement, ils étaient entrés dans l'errance. Comme si rien ni personne ne pouvait plus leur venir en aide, ils s'étaient pour la plupart résignés à leur sort.
Comment, alors, ne pas ressentir une haine viscérale envers le fléau qui sévissait depuis bien trop de temps quand par tous les pores de la ville suintaient les ravages d'un régime pourri jusqu'à la moelle ? Quand le luxe et la démesure était de mise dans le grand monde et que la misère et l'infamie recouvraient tout le reste... Malgré l'impassibilité de mon regard, au fond de mon âme brûlait le feu d'un désir de vengeance qui demandait réparation pour les crimes commis. Patience. Les bras croisés contre la poitrine, le regard plongé dans les méandres des ruelles sales, je savais qu'au fond de ses mêmes rues spectrales subsistait un souffle, grandissant, de révolte.
La preuve que la résistance n'était pas encore morte avait été apportée lors de la Grande Parade Impériale. L'un de mes plans les plus brillants. L'opération avait été un succès indéniable et non seulement il avait déstabilisé le gouvernement qui ne se serait jamais attendu à un tel chaos, mais en plus il avait montré à la population sceptique que la résistance avait bel et bien les moyens de tenir ses promesses. J'avais bien sûr conscience des graves conséquences de nos actes que le gouvernement punirait coûte que coûte. Comme le prouverait par la suite le discours à demi-mots d'Aaron Livingstone, la répression serait à la mesure de notre attaque. Heureusement pour nous, grâce à un incroyable coup de chance, nous avions à présent un moyen de pression qui nous donnait un avantage non négligeable pour donner du poids à notre lutte. Encore fallait-il avoir de bonnes et utiles revendications et que Joane ne laisse pas croupir sa nièce aux mains de l'ennemi.
En ce moment même une réunion était tenue au QG de la résistance afin de faire le point sur la situation et définir la conduite à adopter. Je laissais les résistants les plus hauts placés de l'organisation donner leur avis afin de confronter leurs idées aux miennes. Il était toujours bon d'avoir le maximum de point de vue en de telles circonstances. La réunion touchait quasiment à sa fin et il serait bientôt temps pour moi de donner mes directives définitives. Je savais précisément ce qu'allaient être nos demandes et j'attendais de voir si des idées que je n'avais pas considéré émergeaient lors de l'entretien. Une quinzaine de minutes s'étaient écoulées après la fin de la réunion et je quittais à présent le bâtiment délabré dans lequel je me trouvais pour rejoindre un endroit plus sûr qui me permettrait de rester hors de portée des oreilles indiscrètes. Lentement, après un rapide coup d’œil aux alentours, je sortais mon téléphone et composais un numéro que je connaissais par cœur. Après quelques instants, une voix familière me répondait. La discussion qui s'ensuivit fut brève et ses conclusions claires. Il ne restait plus qu'à mettre en place la diffusion de nos revendications. Elle devrait être massive et hors de contrôle de l'Empire et à ce sujet, j'avais déjà ma petite idée...
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